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Détour en terres politiciennes

Dans le cadre de notre projet des Bibliotèques-Centres Communautaires, nous cherchons à créer des liens avec les autorités politiques locales en Colombie. Nous faisons ceci afin de pérenniser notre projet au-delà de notre présence sur le terrain. Voici quelques impressions issues de premières rencontres avec les candidats à la Mairie.


Le soleil n’est pas encore levé quand Don Laureano klaxonne devant la maison. On grimpe dans sa petite voiture encore un peu somnolents. Direction la Florida. Le chef-lieu de la commune. Cahotant sur la route sinueuse qui monte vers le froid et les pentes du volcan Galeras, on contemple le soleil qui pointe à l’horizon de ce paysage montagneux.


Bien qu’ayant déjà passé plusieurs mois dans les veredas, nous ne sommes jamais allés à La Florida auparavant et nous découvrons une petit bourgade engoncée dans une vallée encaissée que surplombe le volcan. Le village est en effervescence. Aujourd’hui mercredi est jour de marché mais ce n’est pas ça qui attire les foules. En l’occurrence, la cohue est d’un autre ordre. On est à quelques jours des élections municipales et l’ambiance est frénétique. Chacun veut obtenir un moment d’attention des deux candidats à la mairie. Et nous aussi sommes ici pour ça.


Il y a déjà quelques mois que le pays tout entier est entré dans une campagne électorale qui est maintenant arrivée dans sa dernière ligne droite. A Matituy, le village où nous nous sommes installés, elle a envahi l’espace visuel, les gens affichent leurs couleurs au fronton des maisons. Si chacun a pris son parti, il ne semble pas dépendre d’une inclination idéologique. De fait si la politique est partout, le politique, entendu comme débat d’idée est absent des discussions. On vote et milite selon intérêt particulier ou parce qu’on pense que le candidat vole moins ou qu’on est sensible à son sourire charmeur. La joute électorale est un vaste marché (de dupe). Le vote se monnaie contre une promesse plus ou moins concrète, une maison, un vague emploi, un sac de ciment… Plus tard, quand s’approchera l’échéance, ce seront les espèces sonnantes et trébuchantes et on saura rouler les mécaniques au besoin pour grappiller quelques voix à l’arraché.




En somme, il n’est rien ici qui devrait valoir la peine de nous détourner du travail communautaire mené dans les veredas. Cependant, nous avons décidé de tirer notre épingle de ce jeu torve, en tachant de ne nous compromettre en rien. Le réseau de Bibliothèques-Centres communautaires (BCC) a envoyé une commission à la rencontre des aspirants-édiles : Magola est venue de Duarte Alto ; Bianca de Quebrada Honda ; Mariana et Franci de San Francisco Bajo ; Laureano et Janeth de Matituy ; Magdalena, Armando et Elcira de Pescador Bajo ; Maribel enfin représentera les mères communautaires. Il s’agit de faire signer aux deux candidats une déclaration qui les engagera entre autre à financer pour chaque Bibliothèque-Centre communautaire un professeur de musique choisi par les communauté et à appuyer le processus sans pour autant remettre en cause l’autonomie des comités de gestion des espaces. Engaillardis par le nombre et la présence de deux étrangers, des habitants et habitantes ont profité de l’occasion pour amener des demandes plus spécifiques liés à leur vereda : construction de route, mise en place d’égouts, etc…


Bien sûr, les candidats se font attendre. On patiente au soleil de la place principale de la Florida où trône une statue en marbre de Simon Bolivar conquérant, dont le cheval semble voler vers la victoire – dans la région l’issue fut effectivement à son avantage puisqu’il écrasa la révolte locale dans un bain de sang. Peu sensibles au grandiose de cet épisode de l’histoire colombienne, nous nous contentons d’attendre que l’un des candidats à la mairie de la Florida daigne nous recevoir. Déjà, certains entrevoient un problème à ces visites : que va penser « leur » candidat s’il se font voir chez l’ennemi à quelque pas de son propre siège ? Afin de pallier à cet inconvénient, il est proposé d’inviter les deux candidats à recevoir nos sollicitudes dans un lieu « neutre ». Après tout, ce sont eux qui doivent prêter l’oreille aux requêtes populaires et non l’inverse. Et l’idée de les voir se déplacer plait à tout le monde. Nous les attendrons donc à la bibliothèque municipale.


Le premier candidat à nous écouter est Don Ivan qui a déjà été maire à deux reprises il y a dix ans. Fort de son expérience, il apparaît comme le candidat de la sagesse, pacifique et conciliateur. Après avoir brièvement écouté nos demandes et lu la déclaration d’engagement, il signe de bonne grâce en nous rappelant qu’il faudra revenir lors de la mise en place du plan de développement municipal en janvier.


L’affaire se révèle plus compliquée avec l’autre candidat, Don Giovanni que nous espérons rencontrer dans la foulée. Il n’apparaît pas et il faut discuter avec cinq de ses conseillers. Ici l’attitude est différente. S’ils nous écoutent également de manière superficielle, ils se lancent rapidement dans des discours totalement vide de sens mais qui, à grand renfort d’effets de langage institutionnel apparemment élaborés, ont pour fonction d’impressionner les électeurs présents. La langue de bois a été portée à un haut degré de sophistication par la classe politique colombienne et cette équipe de conseillers d’une petite commune du département de Nariño nous en offre un parfait exemple.


Si le ton est parfois bienveillant, il peut aussi se faire menaçant. Par moment, on croit même voir des parents sermonnant leurs enfants indisciplinés. Face à ce déluge rhétorique, la délégation du réseau de BCC a bien du mal à en placer une. Lorsque les conseillers s’adressent à Cristina et à moi, c’est pour nous placer dans la position du philanthrope qui vient la lumière de la civilisation à des peuplades incultes. Nous n’avons malheureusement pas l’occasion de répondre comme il se doit. Quand enfin, le candidat Giovanni arrive, on comprend que tous ces discours avaient avant tout pour fonction de nous faire patienter. Il entre, précédé de son sourire charmeur, s’assied, lit vaguement les déclarations d’intention, les signes et s’en va en nous gratifiant d’un bref discours convenu.


Les deux candidats ont dans la bouche les mots de bien, paix et réconciliation. Qu’en sera-t-il quand l’un des deux occupera son fauteuil à la mairie. Sera-t-il une fois de plus ce Maire-divinité : « celui dont on sait qu’il existe mais qu’on ne voit jamais » ? En attendant, la signature de déclarations d’engagement est perçue comme une victoire dans les veredas. Elle incarne une attitude distincte de l’attentisme et du clientélisme que le sentiment d’impuissance à l’égard de la chose publique semble nourrir depuis toujours. Une attitude proprement politique. Un refus de se compromettre vis-à-vis des du pouvoir exécutif qui rappelle que c’est à lui qu’il revient de s’engager au nom de celles et ceux qui l’élisent et non l’inverse.


Pour l’heure, en attendant l’échéance électorale dont la plupart ne semble espérer beaucoup plus qu’un spectacle politique à « regarder » comme disent les enfants qui en ces jours de frénésie électorale « jouent » à la politique, on rentre à Matituy avec les signatures en poche, la vague impression d’avoir fait ce qu’on a pu et la certitude de ne pas vouloir s’avancer plus avant dans le monde de la politiquería, terme qui désigne ici les pratiques malhuereusement trop courantes d’achat de votes et de clientélisme.


Lors du voyage de retour, nous profitons tout de même de cette première manche gagnée. Nous sommes en effet conscients qu’il sera difficile de changer le monde politiquero, mais l’espace d’un jour, nous avons réussi à le rendre inefficace. Don Laureano, fier d’avoir pu participer à cette tentative de changement, est pour l’heure optimiste, puisque, pour une fois, l’angoisse de voir son candidat perdre, est atténuée par la signature qu’il garde près de lui, et qui lui permettra de faire pression sur le nouveau maire élu. Les rapports de force se sont quelque peu équilibrés. Il nous reste certes un long chemin à faire pour rendre ces promesses réalité et c’est en élaborant des stratégies et des plans futurs que nous occupons notre voyage de retour à Matituy.



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